Oui à l’inclusion : la piscine Quintal ouvre des créneaux à la communauté trans

Mis à jour le 8 août 2023
Temps de lecture : 5 min

Grâce à une initiative citoyenne, la piscine Quintal (métro Frontenac) offre, depuis déjà un an, des créneaux exclusivement réservés à la communauté trans. Rencontrez Jack*, la personne qui a porté le projet, ainsi que Sam** et Dan, qui nous partagent leur expérience à la piscine.

Les définitions qui suivent vous aideront à vous familiariser avec le vocabulaire de l’article. Pour en savoir plus sur les termes utilisés, veuillez visiter la vitrine linguistique de l’OQLF

Personne trans : Personne qui a une identité de genre différente de son genre assigné à la naissance, qu’elle modifie ou non son expression de genre ou son corps pour les faire concorder avec cette identité.

Personne cisgenre : Genre présumé d’une personne, qui est habituellement déterminé dès sa naissance en fonction de ses caractères sexuels primaires.

Personne non-binaire : Personne dont l’identité de genre se situe hors de la classification binaire masculin/féminin.

Jack, peux-tu nous parler de ton projet à la piscine Quintal?

Jack : En collaboration avec l’arrondissement de Ville-Marie, nous avons instauré une programmation trans à la piscine Quintal. Deux créneaux ont été dédiés à la communauté : l’un, uniquement pour les personnes trans et l’autre pour les personnes trans et leurs proches qui sont des personnes alliées des personnes trans. 

Comment t’es venue l’idée d’une telle initiative?

Jack : En 2014, alors que j’habitais en campagne, je me suis blessé au dos. Comme j’avais besoin d’un accès à l’eau pour ma réhabilitation et que j’avais déjà un jardin médicinal dédié à la communauté en campagne, l’idée d’ouvrir un spa pour la réhabilitation m’a traversé l’esprit. Par la suite, dû à ma blessure, j’ai perdu le jardin, car j’ai dû déménager à Montréal. J’ai donc un peu mis de côté mon projet. 

À mon retour en ville, avec ma réhabilitation, j’ai approché quelques spas, mais l’ouverture et l’accessibilité étaient toujours problématiques dans ce genre de projet. C’est en ayant une conversation avec le coordonateur d’un organisme de recherche et de soutien des personnes trans que j’ai réalisé que le besoin était plus grand que moi, et que j’avais une vraie possibilité de faire mon projet en ville, avec beaucoup plus de soutien qu’en campagne.

Comment ton projet s’est-il concrétisé?

Jack : En 2020, j’ai approché quelques piscines, mais évidemment, la pandémie est venue me couper l’herbe sous le pied. À l’automne 2021, deux événements déclencheurs sont survenus : le projet de Loi 2 et les élections. Robert Beaudry, conseiller de la Ville du district de Saint-Jacques, est venu cogner à ma porte dans le cadre du porte-à-porte électoral. 

On a parlé d’isolement, de la Loi 2, de mon projet… il m’a laissé son courriel, je l’ai recontacté et il m’a donné les coordonnées de l’équipe des sports, loisirs et développement social. C’est avec cette équipe que j’ai pu déployer le projet par la suite. Je me suis senti vraiment bien entouré : moi, j’ai eu les idées, l’équipe avait l’énergie, et la Ville nous a permis d’aller plus loin… dans ce contexte, on peut vraiment dire que la Ville est venue cogner à ma porte!

Est-ce là que tu en as parlé à la communauté trans?

Jack : Les gens autour de moi étaient déjà au courant car, dans la communauté, on fonctionne beaucoup par bouche à oreille. De plus, quand j’ai rencontré Robert Beaudry et que je lui ai soumis mon projet, j’ai ouvert un groupe Facebook afin de sonder l’opinion de la communauté trans. Ça a mobilisé beaucoup de gens : le groupe est seulement ouvert aux membres de la communauté et on y compte aujourd’hui plus de 500 personnes. 

Qu’est-ce que ça apporte de pouvoir vous retrouver en non-mixité?

Sam : Dans les piscines ouvertes à tout le monde, on ressent et on vit beaucoup de microagressions (regards, commentaires ou comportements qui font qu’une personne ne se sent pas bienvenue). Quand on transitionne, on a un corps qui va changer, qui peut nous faire sentir mal à l’aise d’être dans la nudité avec des personnes qui ne nous connaissent pas et qui, en plus, ne comprennent pas la réalité des changements qui s’opèrent dans nos corps. La transition peut amener beaucoup de dysphorie (le fait de se sentir mal à l’aise dans son corps). Et même, à l’inverse, pour les personnes cisgenre, ça peut choquer que de voir des personnes porter certains types de maillots, de voir des corps différents. Donc, le fait de se retrouver entre nous, de pouvoir échanger avec des personnes qui partagent des problématiques similaires reliées à notre genre, à notre transition, ça rassure et ça crée un fort sentiment d’appartenance.

Sam, toi qui est un utilisateur des créneaux réservés, comment en as-tu entendu parler?

Sam : Ce sont des amis qui m’en ont parlé et qui m’ont ajouté au groupe, tout en m’expliquant le fonctionnement. Jack a mis beaucoup d’informations dans le groupe également, et c’est rassurant.

Comment as-tu vécu ton expérience, la première fois que tu y es allé?

Sam : Quand je suis arrivé, j’ai été accueilli par des personnes de la communauté. Je me suis tout de suite senti au bon endroit. Personnellement, je pratique le sport depuis longtemps et ça a été un élément important dans ma transition. J’ai aimé retrouver une régularité dans mon entraînement, socialiser, rencontrer de nouvelles personnes. J’ai également été rassuré quand j’ai appris que le personnel de la piscine avait été formé. 

Dan, tu as rejoint le projet en août dernier. Quel rôle y as-tu joué?

Dan : Je suis doctorant à l’Université d’Ottawa et je travaille sur les conditions de pratique du sport par les personnes trans en France et au Québec. En plus d’être moi-même un utilisateur des créneaux trans à la piscine, le projet m’est utile pour constater les réalités des autres personnes utilisatrices. J’ai pu réaliser des entrevues dans lesquelles il ressort un nombre incroyable d’avantages de l’accès réservé à l’espace de piscine.

Peux-tu nous en donner quelques exemples?

Dan : La plupart des personnes que j’ai rencontrées pratiquaient le sport et ont arrêté à un moment, surtout au début de leur transition, pour les raisons précédemment évoquées par Sam. Du coup, le fait d’avoir accès à cet espace de piscine leur permet notamment de reprendre la pratique de leur sport, mais aussi, d’avoir un espace de détente, de loisirs. 

Être en non-mixité, c’est une stratégie qui permet non seulement d’avoir un refuge par rapport aux microagressions, mais aussi, de lutter contre l’isolement social. Le fait de se retrouver en communauté une fois par semaine, de pouvoir discuter, de pouvoir l’intégrer à la routine, c’est extrêmement bénéfique.

Que diriez-vous à une personne de la communauté trans qui éprouve encore des craintes à fréquenter les bains trans?

Jack : Je l’encouragerais à jeter un œil sur notre groupe Facebook, Trans-Swim Piscine Quintal, où on retrouve une foule d’informations et un questions/réponses. On a aussi accès à un clavardage communautaire, si la personne désire me parler ou me poser des questions en privé, ainsi que la possibilité d’effectuer les activités avec un buddy. Sinon, on est un beau groupe accueillant, les gens se connaissent de plus en plus et, surtout, on est très sensibles au fait que c’est extrêmement épeurant d’y aller la première fois! Il y a toujours quelqu’un à la piscine qui a vécu cette même angoisse, et c’est ainsi que l’on peut s’entraider.

Dan : Aussi, il est bon de savoir que personne ne se met de pression sur quoi que ce soit. Si tu veux nager et faire des aller-retours, c’est tout aussi possible que si tu désires uniquement venir flotter dans l’eau.

Sam : De mon côté, j’ai une amie qui n’avait pas mis les pieds à la piscine depuis 10 ans, par angoisse de se mettre en maillot de bain devant autrui. J’ai été heureux de pouvoir lui dire viens, je t’accompagne. Au final, ç’a été aussi bénéfique pour elle, qui retrouvait la sensation d’être dans une piscine, que pour moi, de la voir retrouver son bonheur de nager.

Jack, avec tout le chemin que tu as réussi à parcourir avec ton projet, quelles sont tes aspirations pour la suite?

Jack : J’aimerais accommoder toutes les parties que le projet peut rejoindre : des parents trans avec leur enfant cis, par exemple, ou le contraire, des enfants trans avec leurs parents cis. Évidemment, j’aimerais que le projet perdure dans le temps et qu’il puisse voir le jour dans d’autres piscines et dans d’autres arrondissements.

Créneaux réservés à la communauté trans

Créneaux réservés à la communauté trans et à leurs proches

Avant le 21 août :

Jeudi, de 17 h à 19 h

Avant le 21 août :

Samedi, de 15 h à 16 h

À partir du 21 août :

Jeudi, de 18 h à 20 h

À partir du 21 août :

Samedi, de 15 h à 16 h

*Jack utilise le pronom iel aux accords masculins. Sam et Dan utilisent les pronoms il/lui.
** Afin de préserver leur anonymat, les prénoms de Sam et Dan sont fictifs.